Une Première ministre chargée de la planification écologique ne suffira pas

Ce qui doit changer pour rendre au service public sa pensée stratégique

La nomination d’Elisabeth Borne, Première ministre française chargée de la Planification écologique et énergétique laisse à pense que les orientations stratégiques, en matière l’écologie et plus largement de politiques publiques, sont absentes des administrations. Or un simple changement de gouvernance par le haut ne permettra pas d’atteindre cet objectif de planification stratégique sans une réflexion profonde sur la structure des administrations publiques, que ce soit sur l’écologie ou dans les autres domaines d’action de l’Etat.

En effet, face aux problématiques et aux crises que traversent l’Etat, les agent·e·s des services publics ont un rôle essentiel : clarifier et objectiver les controverses en apportant les éléments techniques permettant au politique de prendre une décision en connaissance de cause.

Cependant, les absurdités dans l’action publique paraissent se multiplier et les décisions semblent trop souvent prises à la va-vite, en dépit du bon sens, particulièrement dans le domaine écologique mais aussi durant le Covid, etc.. S’il serait tentant de suggérer qu’il s’agit d’un simple problème de communication, la réalité est plus complexe : le fonctionnement des administrations publiques ne donne pas à ses agent·e·s les moyens de faire leur travail correctement et de proposer des solutions réfléchies.

4 obstacles principaux à l’anticipation et à l’élaboration de réflexions :

  • L’insuffisance des moyens humains alloués à la réflexion et l’inadaptation des politiques de gestion des ressources humaines : les effectifs administratifs sont insuffisants pour déployer des réflexions stratégiques et le recours à l’externalisation implique un amoindrissement des compétences techniques de la sphère publique. A force d’externalisation, les agents finissent par devenir des gestionnaires de processus, de pilotage de marchés, plutôt que de renforcer leur expertise technique et augmenter
    les domaines de compétences de l’administration.

  • La faible valorisation des espaces de réflexion internes existants : Il existe dans l’administration des corps ou structures d’inspections qui exercent des missions d’audit, d’étude et de conseil pour le compte des ministres. Leur rattachement direct aux ministres, qui leur adressent des commandes pour valider des choix politiques déjà réalisés, enserre les réflexions dans un cadre politique contraint et limite la production d’une réflexion indépendante et novatrice. Quant aux think thank internes à l’administration, ceux-ci ne sont pas suffisamment identifiés, et lorsqu’ils produisent des notes de réflexions sur de nouvelles problématiques, celles-ci ont du mal à être utilisées
    par des administrations surchargées.

  • La surcharge et la mauvaise mobilisation de la recherche universitaire : La recherche universitaire constitue une force et une richesse incontestable du service public français. Pourtant, celle-ci est mal mobilisée par et pour l’action publique. Par exemple, si la France est une des principale contributrice financières au GIEC et que le président Macron a créé un « Haut Conseil pour le Climat », force est de constater que ces deux organismes ne cessent de répéter que les politiques actuelles ne sont pas alignées avec les objectifs définis et les enjeux sans pour autant qu’aucun changement de trajectoire ne soit élaboré par les politique.

  • La valorisation politique d’une action trop rapide : Le temps politique est court et les élu-es ressentent la nécessité de montrer qu’ils agissent rapidement, dans le temps imparti par leur mandat. Or mettre en œuvre des projets pertinents nécessite des temps de réflexion et d’élaboration incompressibles. La compression de ces temps, notamment pour coller à un agenda politique, nuit à la qualité du service public rendu et est inefficace financièrement.

8 recommandations pour redonner à l’administration sa capacité d’anticipation, de réflexion et d’éclairage de la décision publique :

  • Allouer des moyens humains et financiers à la réflexion au sein de l’administration : Le manque de moyens alloués à la réflexion interne contribue au sentiment de “perte de sens” ressenti par les agent·e·s.
  • Développer de réelles stratégies de gestion des ressources humaines qui redonnent une place aux compétences techniques : La constitution d’une expertise au sein de l’administration n’est pas qu’une question de moyens : il est nécessaire pour l’État de disposer en interne d’expert·e·s de ses champs d’action, d’un point de vue à la fois stratégique et technique. Pour cela, il est nécessaire de construire de réelles politiques de gestion des ressources humaines, anticipant dès aujourd’hui les besoins
    de demain.
  • Revaloriser les lieux de réflexion existants au sein de l’administration : Cela implique de clarifier leur positionnement au sein des organisation pour permettre de faciliter leur saisie par les agent.e.s extérieur.e.s au service, de réadapter leurs plans de
    travail pour s’adapter aux problématiques actuelles et anticiper les questions à venir.
  • Permettre aux agent·e·s d’interroger les dogmes implicites de l’action publique : Les agent·e·s doivent pouvoir proposer des réflexions originales qui les réinterrogent pour remettre le bien commun au centre sans crainte pour leur crédibilité.
  • Renforcer le dialogue entre responsables politiques et administratifs et agent·e·s.
  • Réinvestir dans la recherche universitaire pour les politiques publiques et utiliser leurs productions comme guides de la prise de décision.
  • Reconnecter le temps politique avec le temps de la réflexion : Une réflexion solide et des études approfondies agissent comme des garantes de l’intérêt général, et il importe de les envisager comme telles.
  • Anticiper les problématiques : l’État doit travailler aux questions qui s’inscrivent sur un temps long, ce qui permettra à l’administration de se doter de feuilles de routes qui lui permettront d’anticiper. Les responsables politiques doivent prendre le temps
    d’anticiper leurs commandes afin de permettre aux agents de développer des réflexions
    poussées.

Rencontre

Nos Services Publics & Le Lierre organisent une rencontre sur le thème “L’Etat a-t-il les moyens de réfléchir pour la transition écologique ?”

  • Date : 29 juin, de 19h à 21h

  • Lieu : La « Pépinière » - Académie du Climat - 2 place Baudoyer - 75004 Paris

Le Collectif Nos services publics organise conjointement avec l’association le Lierre une rencontre le 29 juin prochain à 19h à l’Académie du Climat (2 place Baudoyer, Paris 4e) pour débattre de cette publication, en s’interrogeant particulièrement sur les capacités de l’Etat à réfléchir pour engager la transition écologique.

En présence de :

  • Viviane Trèves, membre du collectif Nos services publics
  • Martin Bortzmeyer, membre du Lierre
  • Stéphane Vincent, fondateur de la 27e Région
  • Cécile Blatrix, Professeure en science politique à AgroParisTech et membre du Cercle de la réforme de l’Etat

Vous êtes les bienvenu·e·s pour venir échanger avec nous à cette occasion!

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