Les retraites des fonctionnaires représentent environ un quart des dépenses totales du système de retraites français. En particulier, les retraites des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers sont abondées par les cotisations salariales et patronales de 2,2 millions d’agents, qui représentaient 22 milliards d’euros de recettes en 2021. Ces cotisations sont assises sur la rémunération indiciaire des fonctionnaires cotisants, c'est-à-dire à la fois sur le nombre de cotisants et sur le niveau de leur rémunération. L’évolution de la politique salariale publique influence ainsi substantiellement les recettes des régimes de retraites, et donc l’équilibre du système de retraite par répartition, à court comme à long terme.
Les déclarations gouvernementales récentes sur le déficit des retraites, qui servent à justifier la réforme, sont largement fondées sur les projections d’excédent ou de déficit du système de retraites présentées par le COR dans son rapport de septembre 2022. Ces projections reposent, pour le court terme, sur les prévisions transmises par les services du ministère des comptes publics, notamment en ce qui concerne la masse salariale publique (évolution de l’emploi public, du point d’indice et de la part des primes dans la rémunération).
L’étude des hypothèses retenues par le gouvernement pour calibrer sa réforme des retraites conduit à mettre au jour, si ces hypothèses sont sincères, un impact négatif de grande ampleur sur l’état des services publics. En effet, les hypothèses transmises au COR pour ses projections en matière de retraites se sont notablement dégradées par rapport à 2021. Elles prévoient une stabilité des effectifs globaux pour la fonction publique, et notamment une stabilité totale pour les fonctions publiques d’Etat et territoriale. Un tel gel entraînerait, pour les administrations publiques de l’Etat et des collectivités territoriales l’impossibilité de recruter au-delà du remplacement des départs à la retraite, pendant la durée du quinquennat, et représenterait une rigidification des recrutements dans les services publics inédite depuis 2012. S’agissant de la rémunération, Bercy prévoit un quasi-gel des rémunérations sur toute la durée du quinquennat en cours, conduisant à une baisse très significative de la rémunération réelle (une fois l’inflation prise en compte) des fonctionnaires de 11 % entre 2022 et 2027. Les pensions des fonctionnaires partant à la retraite en 2027 se verraient amputées d’autant (11%).
Compte tenu de l’importance des cotisations publiques pour le système des retraites, une telle dégradation de la masse salariale publique conduirait à aggraver notablement le déséquilibre du système de retraites à horizon 2030. La diminution de la rémunération des fonctionnaires, en termes réels, conduirait en effet à une dégradation conséquente des cotisations versées par les employeurs des 2,2 millions de fonctionnaires territoriaux et hospitaliers. A l’inverse, si aucun décrochage de la rémunération des fonctionnaires n’était organisé et que la masse salariale indiciaire évoluait comme celle de l’ensemble de la population, le déficit du système de retraites serait sensiblement diminué à horizon 2030. Cette réduction substantielle du déficit serait directement due à l’apport de 0,13 points de PIB de cotisations supplémentaires au système de retraites en 2030, soit 3,3 milliards d’euros, par les fonctionnaires territoriaux et hospitaliers.
Les projections de gel de l'emploi public et de baisse des rémunérations des fonctionnaires du gouvernement entreraient en contradiction avec les besoins auxquels font face les services publics, a fortiori dans un contexte de crise d’attractivité de la fonction publique. Elle apparaît en outre contradictoire avec les récentes décisions et déclarations ministérielles sur les revalorisations dans la fonction publique. Devant l’impossibilité de conclure à la sincérité ou non des hypothèses de déficit présentées par le gouvernement depuis septembre 2022, une clarification apparaît nécessaire :
Ou bien les projections réalisées en matière d’emploi public reflètent réellement des objectifs politiques, et le gouvernement prévoit à la fois de geler les effectifs et de diminuer le pouvoir d’achat des fonctionnaires de 11% d’ici à la fin du quinquennat, avec des conséquences délétères sur les services publics.
Ou bien le déficit du système de retraites a été artificiellement surévalué pour justifier la réforme, ce qui soulèverait des interrogations légitimes sur la justification de la réforme des retraites actuellement en débat.
Loin d’être anecdotique, le débat sur les projets gouvernementaux en matière d’emploi et de rémunération des fonctionnaires est un préalable pour assurer la sincérité et la transparence du débat public sur le projet de loi sur les retraites.