Parcoursup : une génération "en attente"

100 M€ pour tout changer sans rien régler

En 2017, le ministère de l’enseignement supérieur remettait à plat le système d’affectation vers l’enseignement supérieur « Admission Post Bac » (ou « APB »), en partie pour répondre à l’émotion suscitée par l’organisation de tirages au sort pour 0,5 % des élèves de lycée dans une poignée de filières en tension et aux critiques sur son manque de transparence.

La mise en oeuvre de la nouvelle procédure, baptisée « Parcoursup » a introduit une logique de classement jusqu’au sein des formations non-sélectives qui induit des listes et un temps d’attente considérables pour les élèves, pour des résultats pour le moins contrastés. Le coût de la procédure de classement et d’accompagnement des élèves pour le seul enseignement secondaire est estimé à 100 M€. Le problème sous-jacent du manque de place dans les formations supérieures publiques reste pour sa part inchangé.

I. D’APB à Parcoursup : d’une logique d’affectation à une logique de classement

A la suite de polémiques suscitées par la possibilité de tirage au sort dans le dispositif Admission Post Bac (dit « APB ») d’affectation dans l’enseignement supérieur, le gouvernement envisage de le remplacer par une nouvelle procédure. Le 8 mars 2018, la loi Orientation et réussite des étudiants (dite « ORE ») a prévu la création d’une nouvelle plateforme de « préinscription dans l’enseignement supérieur », baptisée « Parcoursup », mise en service dès le mois de juin 2018, modifiant en profondeur les modalités d’affectation des élèves dans l’enseignement supérieur.

Trois principaux changements dans les algorithmes de Parcoursup par rapport à APB, conduisant à substituer la une logique d’affection des élèves selon leurs préférences, par une logique de « file d’attente » selon leur classement.

En premier lieu, alors qu’APB demandait à chaque lycéen·ne·s un classement, a priori, de ses vœux pour l’enseignement supérieur, l’instauration de Parcoursup met fin à ce système de hiérarchisation au début de la procédure. Chaque lycéen·n·e doit désormais effectuer jusqu’à 30 choix, sans pouvoir indiquer ses préférences. Son affectation dépend alors moins de la précision de son projet d’orientation ou de ses motivations que des places dans les classements et les listes d’appel de chaque formation.
En deuxième lieu, Parcoursup a conduit à l’apparition de 15 000 algorithmes locaux de classement des candidatures au sein des universités, remplaçant les critères objectifs, nationaux et non-académiques, en place avant 2018. La pondération des critères est déterminée localement, discriminant le cas échéant selon des critères étrangers à la formation, la seule exigence étant le classement de l’intégralité des candidatures reçues, sans ex aequo. En troisième lieu, la procédure se déroule désormais en continu, sans prévisibilité pour les élèves de lycée qui peuvent à tout moment recevoir une nouvelle proposition d’affectation à partir de l’ouverture de la plateforme.

II. Les conséquences du passage à Parcoursup : des listes d’attente considérables, une désorganisation du secondaire et des coûts massifs pour des résultats peu satisfaisants

Conséquence directe de ce renversement de logique (d’une hiérarchisation ex ante par les élèves à un classement des candidatures reçues par les universités) : près de la moitié des élèves ne reçoivent pas de proposition le jour de la publication des résultats, et découvrent leur classement sur une liste d’appel qui les place parfois derrière plusieurs milliers d’autres candidats. En effet, l’absence de possibilité de traitement automatique des préférences des lycéens conduit à un effet de blocage : tant que les candidat·e·s les mieux classé·e·s n’ont pas décliné les vœux surnuméraires - souvent multiples - pour lesquels ils ont été retenus, les places y afférentes ne peuvent être proposées aux candidat·e·s suivant·e·s sur la liste d’attente.

La généralisation de cette logique de classement, qui conditionne désormais l’accès à l’ensemble des filières du supérieur, y compris les filières non sélectives, accroît considérablement le stress des élèves, pour qui chaque note obtenue au cours des années de première et de terminale est désormais prise en compte et déterminera les conditions de son orientation dans le supérieur.

Par ailleurs, le poids entraîné par la procédure de classement à l’occasion du passage à Parcoursup a conduit à un surcroît de travail pour les personnels de l’éducation nationale, aux dépens de leur mission éducative.

Loin de simplifier l’orientation, Parcoursup a contribué à désorganiser l’année de terminale en multipliant les échéances et en accordant une place disproportionnée à une multiplicité d’opérations administratives, sans aucune plus-value pédagogique pour les élèves. Dans l’enseignement supérieur, ce sont des milliers d’enseignants qui examinent les dossiers dans plus de 15 000 formations différentes, et autant d’algorithmes locaux utilisant des critères variables et inconnus de leurs collègues du secondaire.

L’arrêté portant la création de la procédure Parcoursup identifie ainsi plus d’une vingtaine de personnels différents susceptibles d’intervenir à un moment ou un autre de la procédure : enseignants, psychologues de l’Éducation Nationale, personnels administratifs, etc. Chacun de ces acteurs réalise des opérations isolées d’appréciation, d’analyse et de classement de candidats, sans concertation préalable et sans retour sur la façon dont leurs contributions seront interprétées par les autres.

Cet émiettement des responsabilités et le manque de communication entre les acteurs soulèvent déjà des questions sur la cohérence globale du dispositif et sur la valeur des classements obtenus en bout de chaîne. Mais à cela s’ajoute un coût très important en temps d’enseignement, et donc en finances publiques. Ce sont en effet plus de 2,6 millions d’heures qui sont consacrées par les équipes pédagogiques de l’enseignement secondaire à former les élèves à la maîtrise d’une procédure dont les règles changent chaque année, à gérer les nombreux problèmes d’interface, compiler des données disparates pour créer les dossiers, aider à la rédaction de lettres de motivations, réaliser des classements, formuler des appréciations pour chaque vœu, etc. Le coût induit de cette réforme, en seule masse salariale est d’environ 100 millions d’euros par an, soit l’équivalent de 2000 professeurs à temps plein consacrés exclusivement à la procédure Parcoursup.

In fine, on peut s’interroger sur l’adéquation entre les résultats de la réforme Parcoursup et les coûts qu’elle induit en termes de finances publiques et les conséquences en matière d’organisation dans l’enseignement secondaire.

Changement majeur par rapport à APB, il n’est plus possible de juger de la performance de Parcoursup par la capacité du système à satisfaire au mieux les préférences des lycéen.ne.s et à respecter les choix qu’ils émettent pour la conduite de leur propre avenir. Les préférences des candidat·e·s n’étant plus renseignées dans le nouveau dispositif, la nouvelle procédure empêche purement et simplement de mesurer la qualité de l’affectation.

Un autre critère d’évaluation de Parcoursup pourrait être le nombre de lycéen.ne.s non affecté.e.s, soit qu’ils n’ont reçu aucune proposition d’affectation, soit qu’ils ont été découragé.e.s par la procédure, soit qu’ils ont poursuivi une autre voie. Mais en volume, le nombre de lycéen.ne.s ne poursuivant pas d’études supérieures est en réalité indépendant de la procédure d’affectation retenue : ce nombre dépend essentiellement de la volonté des jeunes et du nombre de places. Les données publiées par le ministère montrent ainsi que depuis 2012, environ 150 000 bachelier.e.s ne poursuivent pas dans le supérieur. La relative stabilité de ce chiffre ne semble donc pas avoir été affectée par le passage d’APB à Parcoursup, ni par une dégradation ni par une amélioration.

En revanche, Parcoursup a considérablement dégradé l’expérience vécue par les lycéens durant la procédure d’affectation par rapport au dispositif précédent, en particulier au vu du nombre de personnes ne recevant aucune proposition lors de la publication des résultats. Ainsi, en 2021, l’écrasante majorité (82 %) des néo-bacheliers affectés par Parcoursup avaient trouvé la procédure stressante - et ce dans un panel comportant uniquement des lycéen.ne.s ayant finalement été admis.es. En outre, Parcoursup perturbe le travail pédagogique des personnels de lycée en les obligeant à intégrer une logique de classement à chacune de leurs évaluations et en leur demandant de consacrer une part considérable de leur temps à fabriquer des dossiers pour faire le tri entre leurs élèves.

III. Des changements législatifs et invariants budgétaires à rebours de la liberté de choix des élèves

Les moyens humains et financiers déployés pour le classement conduisent à un résultat symbolique : faire reposer sur les épaules des élèves eux-mêmes la responsabilité d’un échec à intégrer la filière de leur choix.

De manière symptomatique, la nouvelle rédaction de l’article L. 612-3 du code de l’éducation, tel qu’issu de la loi ORE ayant mis en place Parcoursup, ne fait plus mention de la liberté pour les étudiant.e.s de s’inscrire dans la formation de leur choix. Elle confie en outre à l’Etat le dernier mot pour définir le nombre de places dans les formations supérieures publiques. L’université, qui accueillait en 2020 57 % des étudiants inscrits dans l’enseignement supérieur, déjà quatre fois moins financée que les classes préparatoires aux grandes écoles, a vu dans le même temps les dotations universitaires par étudiant diminuer de 12,6 % entre 2013 et 2019. Cette diminution accompagne l’espace croissant pris par les formations privées dans le système d’enseignement supérieur français notamment depuis 2016 et qui représentaient, en 2020, le quart des nouvelles admissions dans l’enseignement supérieur.

Parcoursup a manqué son objet.

La réforme n’a non seulement pas répondu à son objectif immédiat : trouver une solution plus juste qu’un tirage au sort pour l’infime portion des élèves concernés. Elle n’a, surtout, apporté aucune solution à l’opportunité que représente l’augmentation du nombre de bacheliers pour la société dans son ensemble et constitue une occasion manquée pour améliorer l’accueil de tous les étudiant.e.s qui le souhaitent dans l’enseignement supérieur.
À l’échelle individuelle, Parcoursup conduit à une perpétuation des inégalités sociales car un tel système rend indispensables l’établissement de stratégies complexes et une capacité à se renseigner très en amont sur les différents choix possibles et les priorités à suivre. Par ailleurs, la procédure Parcoursup ne répond pas aux enjeux d’un meilleur accompagnement des élèves qui accèdent à l’enseignement supérieur. Elle conduit à réduire la place des jeunes dans leur propre orientation sans leur donner de moyens pédagogiques supplémentaires pour favoriser leurs chances de réussite, ni répondre à la question essentielle du nombre des places disponibles dans les filières qu’ils demandent.

Plus encore, par le mécanisme de classement déployé depuis 2018, la responsabilité de l’échec de l’orientation est implicitement déplacée de la puissance publique - pour l’inadaptation de son offre de formation - vers les lycéen.ne.s. Plutôt que l’organisation d’un rationnement de l’offre, cette note propose de redonner aux jeunes toute leur place dans la définition de leur avenir, d’une part en supprimant le classement dans les filières non-sélectives et en revenant à une logique de choix des élèves et, d’autre part, en réinscrivant dans la loi la liberté pour les jeunes de s’inscrire dans l’établissement de leur choix et en l’accompagnant par la création de places à la hauteur des besoins exprimés.

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