Que changerait la préférence nationale induite par la loi immigration ?

Une préférence pour la pauvreté qui touchera au moins 110 000 personnes dont 30 000 enfants

Conseil_Constitutionnel-980x551-870820252.jpg

Le 19 décembre 2023, a été votée au Parlement une loi dite “immigration” largement contestée - y compris devant le Conseil constitutionnel. Et pour cause, si elle entrait en vigueur, cette loi aurait des conséquences immédiates importantes pour nombre d’enfants et de salarié.e.s précaires. Cette note, issue du travail d’agents publics, d’économistes et de statisticiens spécialistes du système de protection sociale, propose de chiffrer et d’illustrer les conséquences qu’aurait le volet “préférence nationale” de ladite loi dans la vie des habitantes et habitants de notre pays.

1. Une “préférence nationale” sur les prestations familiales et allocations logement qui cible de facto les personnes les plus précaires et les enfants

Parmi les dispositions de la loi immigration, une des plus contestées est le conditionnement de la quasi-totalité des prestations familiales et des allocations logement, en ce qui concerne les personnes étrangères uniquement, à une durée de présence sur le territoire d’au moins cinq années ou d’une durée d’activité professionnelle minimale. Cette durée de cotisation minimale est par exemple de 30 mois en ce qui concerne la prestation d’accueil du jeune enfant, l’allocation de rentrée scolaire, les allocations familiales ou certaines aides au logement. Dès lors que ces prestations sont spécifiquement destinées à l’éducation des enfants et à la lutte contre la précarité, notamment en ce qui concerne le logement, leur suppression pour certains ménages aura une conséquence directe : l’aggravation de la pauvreté des enfants et la détérioration des conditions de vie de ménages déjà précaires.

2. Une différence de traitement institutionnalisée pour les plus pauvres : à situation égale, traitement inégal

La Constitution de la Ve République déclare, dans son titre Ier, que la France est une République sociale, dont la devise “liberté, égalité, fraternité” se décline en droits fondamentaux garantis par le Conseil constitutionnel. Le principe d’égalité impose notamment que les différences de traitement découlent de différences de situation, et proscrit toute différence de traitement fondée sur l'origine, la race, la religion, les croyances ou le sexe. La loi immigration vient heurter ces principes, en imposant des différences de traitement sans différences de situation.

Ainsi, Yasmine et Saba, 27 ans, voisines et toutes les deux mères célibataires d’un enfant d’un an, verront leur situation fortement diverger. Toutes les deux aides-soignantes à mi-temps, elles cotisent depuis deux ans aux mêmes contributions (CSG, CRDS, cotisations sociales). Parce que la seconde n’est pas française, elle se verra supprimer les allocations de soutien familial (pour parent isolé), l’allocation de base de la prestation d’accueil du jeune enfant (PAJE) pour éduquer son enfant de moins de trois ans ou encore l’allocation de logement social qui l’aide à payer son loyer. Au total, alors que Yasmine et son fils peuvent vivre avec un revenu disponible mensuel de 1621€, Saba et son enfant Michael ne disposeraient que de 651€ par mois et passeraient en dessous du seuil de très grande pauvreté.





De telles différences de traitement pour une situation identique se retrouvent dans les cas de Matthieu et Amar, employés de restauration à temps partiel, d’Antoine et Brian, camarades de classe de CP. La différence de traitement peut y compris concerner deux enfants français né.e.s en France, comme le montre le cas de Sofia et Ismaël, 1 an, et dont le second se verrait privé de droits importants pour permettre son éducation, du seul motif de la nationalité de ses parents.




3. Au moins 30 000 enfants touchés par ces privations de droits, dont plus de la moitié serait en situation de grande pauvreté

Le nombre de personnes qui se verraient privées de leurs droits sociaux, à cotisations égales, et sur le seul motif de leur lieu de naissance ou de la nationalité de leurs parents est estimé à au moins 110 000, dont 30 000 enfants, selon une estimation des économistes E. Guillaud, A. Math, M. Pucci et M. Zemmour transmise au Conseil constitutionnel. Souvent déjà dans des situations précaires, ces personnes et ces familles seront nombreuses à basculer dans la pauvreté, voire la très grande pauvreté, cette dernière situation devant concerner plus de la moitié des enfants touchés par la préférence nationale.

Au motif de “décourager” la venue des personnes étrangères au nom d’un “appel d’air” que réfutent tous les travaux sur le sujet, ces mesures remettent fortement en cause le principe d’universalité et accroissent les conditions nécessaires pour bénéficier des mesures de lutte contre la pauvreté. En ce sens et dans un contexte de réformes du chômage, des retraites ou du RSA, elles risquent de constituer un précédent dans la dégradation des droits sociaux de l’ensemble de la population.