2. Le projet de loi fragilise le service public de l’asile et de l’immigration sans proposer d’outils de nature à servir les objectifs affichés
Les objectifs de diminution des délais d’instruction, et de hausse des reconduites à la frontière, sont imposés sans que ne soient mis en place les leviers pour les atteindre. Or, pour ce qui concerne les demandes d’asile, l’augmentation des effectifs a déjà permis de diminuer les délais d’instruction. Les dispositions actuelles portent l’objectif d’une nouvelle baisse de 159 à 60 jours d’instruction pour 2023, cible que la Cour des comptes a qualifiée de « particulièrement optimiste ». Le projet de loi mise sur des évolutions de procédure et d’organisation pour atteindre ces objectifs de réduction des délais. Or, par nature, l’examen de ces demandes nécessite un temps incompressible. D’abord pour que les demandeurs puissent structurer leur dossier : la complexité de la démarche engendre de la détresse et empêche souvent de mener une procédure sereine et exhaustive. On peut également craindre un effet collatéral à la réduction des délais : un récit incomplet ou un motif de persécutions mal défini lors de l’introduction de la demande peut engendrer des demandes de compléments de la part de l’institution, ainsi que des recherches supplémentaires qui vont finalement allonger le délai d’instruction. Enfin, les agents des préfectures, de l’OFPRA, comme les magistrats de la CNDA ou des juridictions administratives se trouvent en difficulté pour mener à bien leurs missions dans le respect des principes humanitaires. Ils sont placés face à des choix éthiques particulièrement difficiles. A ce titre, la généralisation du juge unique prévue pour diminuer les délais d’audiencement, revient sur un principe de collégialité indispensable dans le contentieux de l’asile où les juges sont chargés d’apprécier la crédibilité d’un parcours de vie et la réalité des craintes de persécutions en cas de retour. Comme l’ont souligné la défenseure des droits et plusieurs syndicats de magistrats administratifs, la généralisation du juge unique va altérer significativement la richesse des échanges avec le demandeur durant l’audience. Enfin, il faut noter que si les effectifs des pôles d’instruction de l’OFPRA ont augmenté ces dernières années, ce n’est pas le cas des pôles qui établissent l’état civil des personnes protégées : celles-ci peuvent attendre une à deux années sans ouverture de droits.
Ce constat s’applique aussi à l’hébergement des demandeurs d’asile ou de séjour, qui compte essentiellement sur une redistribution géographique les places, alors que 47% des demandes d’asile déposées en France le sont en Ile-de-France. Or, une part importante des places sont occupées par des personnes qui travaillent sans parvenir à faire valoir leur droit au séjour.
Il en va de même pour l’exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF) que le projet de loi veut augmenter, ce qui n’est pas un objectif réaliste. La France procède à une politique de massification des OQTF particulièrement inefficace, comparativement à ses voisins européens. En 2019, le taux d’exécution des OQTF prononcées en France est estimé à 15%, quand il est de 24% en Italie ou 32% en Espagne. Le rapport Buffet souligne que certains contentieux liés aux OQTF sont jugés dans des délais allant jusqu’à trois ans, en raison du manque d’effectifs. Or le projet de loi ne comporte aucune mesure susceptible de raccourcir significativement ces délais, ni aucune disposition visant à améliorer la coopération entre la France et les pays concernés.